Ce n’était au départ qu’un sujet de désaccord sur un projet de réforme injuste et brutal. Il y a d’abord la manière dont le gouvernement a construit cette réforme : des concertations d’apparence avec les organisations syndicales sans jamais ouvrir réellement de négociations pour regarder largement les différentes options possibles ni volonté d’élaborer un diagnostic partagé.
Un débat parlementaire par le biais d’une loi de finance rectificative de la sécurité sociale, contraignante dans le temps de débat avec une volonté de ne pas s’éterniser sur le sujet. Un vote impossible à l’Assemblée Nationale suivi d’une procédure de débat bloquée au Sénat. Puis, face au constat d’un probable vote défavorable au projet de loi, le déclenchement du 49.3 pour empêcher ce vote.
Dans le même temps, douze journées de mobilisations nationales, entrecoupées de grèves sectorielles reconductibles, à l’appel de l’ensemble des organisations syndicats, unies comme jamais. Douze journées massives, dépassant tous les précédents décomptes de manifestants depuis que ces derniers existent. Des enquêtes d’opinion faisant état d’un rejet massif de cette réforme et d’un soutien aux mobilisations.
Et puis, la promulgation de la loi le 14 avril, l’allocution présidentielle du 17 avril dans un numéro inutile, creux, trop souvent vu qui démontre une cécité sidérante face à un pays tout entier en colère.
Entre ces concertations et cette allocution, il s’est pourtant passé trop d’événements pour que cela puisse être regardé comme une succession de coïncidences. On ne compte en effet plus les images de scène de chaos et de violences policières injustifiables. Une volonté délibérée de faire peur (53 % des Français déclarent avoir peur désormais de manifester) et de réprimer l’expression légitime d’une colère.
On ne compte plus non plus les nombreuses personnes mises en garde à vue sous des prétextes souvent futiles voire sous aucun prétexte pour finalement être relâchées le lendemain sans aucune poursuite. On ne compte déjà plus depuis la loi travail en passant par les gilets jaunes les manifestants mutilés par les armes de guerre utilisées par les forces de l’ordre.
Impossible de compter le nombre de manifestations interdites en dernière minute ou encore les responsables syndicaux réveillés au petit matin chez eux par l’irruption des forces de l’ordre, menottés au saut du lit devant leurs enfants et emmenés en garde à vue. On aimerait compter le nombre de mineurs, lycéens parfois collégiens (!), mis en garde à vue pour avoir participé à un blocus de leur établissement. On aimerait mais cela n’est pas possible car ils sont bien trop nombreux.
Minoritaire au parlement, une opposition totale des syndicats représentants les travailleuses et travailleurs, une très large majorité opposée (94 % des actifs) dans l’opinion mais une loi imposée sans vergogne par un président qui a choisi de passer en force quelles qu’en soient les conséquences.
Comment expliquer à l’avenir qu’il faudra tout faire pour empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir quand l’actuel, déjà élu pour faire barrage, fait plus que flirter dangereusement avec tous ses marqueurs ?
Comment favoriser la participation citoyenne et politique des plus jeunes quand leur première expérience conduit à prendre des coups de matraques ou à finir en cellule ?
Imposer une réforme par tous les moyens, y compris les plus violents et répressifs n’est pas acceptable. Cette séquence est loin d’être finie malgré les espoirs du Président. Les semaines à venir seront déterminantes pour gagner le retrait de cette réforme.
Elles le seront d’autant plus que d’un simple désaccord sur une réforme, la violente réaction du gouvernement nous a mené sur une crise démocratique dont les retentissements seront multiples…
Brice CASTEL