Education à la Vie Affective Relationnelle et Sexuelle : Un dossier chaud bouillant

L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle occupe largement les débats publics depuis novembre dernier, moment où les nouveaux programmes devaient être présentés au Conseil supérieur de l’enseignement. Les péripéties politiques ont reporté les échéances, mais le sujet reste ouvert, entre, d’une part, l’instrumentalisation par quelques mouvements politiques et religieux, et, d’autre part, de vraies inquiétudes chez certaines familles, le tout sur un fond de défiance à l’égard de l’institution École.

Ce n’est bien sûr pas la première fois que ce débat existe, puisque le premier projet de circulaire sur l’éducation sexuelle date de… 1937, et se retrouvera bloqué par une forte opposition des parents d’élèves. Le passionnant ouvrage d’Yves Verneuil, Une question chaude : Histoire de l’éducation sexuelle à l’école (France XXe-XXIe siècle), publié en 2023, explore d’ailleurs ce sujet en articulant plusieurs temporalités.

D’abord, le temps long, qui pose toujours les mêmes grandes questions : l’éducation sexuelle est-elle du ressort de l’école ou uniquement de la famille ? Relève-t-elle de l’instruction ou bien de l’éducation, c’est-à-dire l’inculcation de valeurs et la prescription ou proscription de comportements ? Doit-elle débuter avec la puberté ou beaucoup plus tôt ? Est-il possible, ou même souhaitable, de donner collectivement la même éducation à des élèves d’une même classe d’âge, mais dont la maturité, la personnalité, la sensibilité, les intérêts et l’histoire personnelle diffèrent chez chacun ?

Yves Verneuil détaille par ailleurs l’évolution des contextes socioculturels et politiques, qui, les uns après les autres, conduisent à reformuler les raisons de l’utilité d’une éducation sexuelle à l’école. Ainsi, au début du XXe siècle, l’un des objectifs assignés par ses promoteurs était de mettre en garde les jeunes contre les maladies. Dans l’entre-deux-guerres, des mouvements hygiénistes, libertaires, féministes développent leurs propres raisons pour instaurer cet enseignement. Dans les années 1960-1970, il s’agit d’accompagner la liberté sexuelle, autorisée par la révolution contraceptive et la mixité instaurée dans les établissements primaires et secondaires. Depuis les années 1980, le sida remet à l’ordre du jour l’utilité d’une information des jeunes sur ses dangers et les moyens de s’en préserver.

Aujourd’hui, dans une société multiculturelle et connectée, l’éducation sexuelle — dénommée depuis 2018 « éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité » — se voit attribuer de nouvelles missions, de nouvelles ambitions, qui viennent nécessairement se confronter à l’épineuse question des moyens humains et de la formation. Les professionnelles du secteur cessent de s’y confronter car elles doivent systématiquement se diviser sur plusieurs établissements et répondre en premier lieu aux problématiques individuelles des élèves.

Pourtant, comme le rapport de la CIVISE en 2023 le préconise, l’intervention de prévention collective tend à être privilégiée, en particulier avec des personnels formés et qualifiés sur les thématiques des agressions sexuelles, de l’inceste, de la protection de l’enfance. Le diplôme d’État des assistants sociaux allie ces deux spécialités : l’intervention et l’accompagnement individuel, ainsi que l’intervention collective globale.

Néanmoins, une formation plus spécifique sur ces thématiques, et sur la manière dont elles doivent être abordées avec un regard pluridisciplinaire, reste une nécessité dans la formation continue.

Albine CAILLIE


Des Assistant.e.s Social.e.s Scolaires impliqué.e.s !


L’information aux parents : facteur d’absentéisme aux interventions EVARS
L’information aux parents est primordiale car l’Education à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle complète les apports des parents sur cette question. J’interviens dans un collège REP+. A partir des classes de cinquième le taux d’absentéisme lors de ces interventions augmente considérablement pouvant aller jusqu’à diviser la classe par deux. Un élève est passé par-dessus le grillage pour éviter ce cours, un autre s’est caché sous l’escalier mais la plupart ne viennent tout simplement pas à cette journée-là.
Certains parents interrogés mettent en avant des raisons religieuses : « ces interventions n’ont pas à avoir lieu dans les établissements scolaires », « l’école coranique s’en charge », « vous incitez à avoir des rapports sexuels ». Les élèves adoptent le même discours parental et l’imaginaire prend le dessus « vous allez nous montrer comment on fait l’amour ».

Aussi suite aux polémiques sur l’EVARS diffusées massivement sur TikTok les parents se sont positionnés
contre dès la maternelle imaginant que des contenus inadaptés seraient diffusées à leur enfant. Le café des parents a été un outil pour décliner les objectifs de l’EVARS et expliquer le sens des actions effectuées en fonction des niveaux d’âge. En primaire nous n’avons plus de retour négatif à ce sujet.
La présentation des contenus et des outils utilisés en amont des interventions apparait comme indispensable pour lutter contre cet absentéisme EVARS. Il reste maintenant à trouver quelle forme de réunion/moment convivial est le plus adapté pour informer le plus de parents. A vos idées !
Les propos déformés et des rumeurs à la clé : quand l’imaginaire dépasse le réel !
Pourquoi est-il important de toujours faire ces interventions à deux ? pourquoi faut-il des personnels
formés ? Je vais vous donner quelques exemples. Après une intervention la principale du collège nous
interpelle avec l’infirmière au sujet de nos interventions. Une mère de famille a appelé : son fils de troisième lui a dit que nous avions mimé une fellation pendant le cours d’EVARS. Ma collègue a contacté la mère de famille pour expliquer le contenu de l’intervention expliquant que certains élèves avaient accepté de faire la pose du préservatif, que cela n’était pas obligatoire ; et que nous abordions la question de la pornographie pour les mineurs, ce n’était donc pas pour mimer une fellation face à des mineurs !
La mère a remercié pour les explications données et a repris avec son fils ces propos.
Suite à une intervention en cinquième avec une professeur il y a eu une rumeur : les profs se touchent
! L’objectif était de parler des relations amicales et amoureuses. En début de l’intervention, nous avons
joué une petite scène avec la collègue où elle me prenait par les épaules afin de les amener à réfléchir
sur les contacts physiques entre eux. Alors oui, les intervenantes se sont touchées les épaules et j’ai montré au-dessus de mon jean où était l’intérieur des cuisses lorsqu’il a été abordé les attouchements sexuels. Avant de commencer chaque intervention dans les autres classes de cinquièmes, nous avons dû commencer par reprendre cette rumeur (après notre scénette bien sur ! ). Pour autant, l’année suivante nous avons fait autrement. Il n’est jamais simple d’être victime de rumeurs sur ce sujet et je m’inquiète surtout de l’impact que cela pourrait avoir sur le lien de confiance que j’ai avec les familles.
Lise – Académie d’Orléans-Tours


Comment faire des séances EVARS sans moyens ni formation ?

Notre circulaire de mission de 2017 prévoit que nous devions “participer à l’éducation à la santé et à la citoyenneté”. Les séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle en font partie. Cependant, nous manquons de formation. C’est un sujet sensible, que les élèves comme les parents peuvent appréhender. Nous nous devons de transmettre des informations vérifiées et de tenir une posture professionnelle adéquate. Notre formation initiale est incomplète sur ce thème et les données scientifiques évoluent chaque année, ce qui nécessite de mettre régulièrement à jour nos connaissances.

J’ai eu 4 jours de formation il y a 2 ans, avec 3 collègues (prof, CPE et IDE) d’un collège, suite à l’envie de créer un vrai programme d’éducation à la sexualité de la 6e à la 3e. Depuis, deux de ces collègues ont quitté l’établissement et la troisième a été un an en arrêt. Résultat : nous n’avons pas vraiment pu mettre en œuvre les acquis de la formation. De nouveaux collègues sont volontaires sur ce collège pour intervenir, mais il faudrait qu’ils soient formés afin de partager une culture commune et découvrir les outils nécessaires.

Le Rectorat ne propose pas, à l’heure actuelle, de nouvelle formation (sauf peut-être pour les nouveaux personnels IDE et AS). J’ai échangé avec une CPE du Puy-de-Dôme, également formatrice en EVARS, lors d’un stage syndical. Elle me disait être sollicitée par d’autres académies pour dispenser des formations, mais très peu par la nôtre, en dehors d’une formation complémentaire d’un jour pour celles et ceux ayant déjà suivi celle de 4 jours. Elle a pourtant passé le CAFFA à la demande du Rectorat, et d’autres personnels ont également été formés pour devenir formateurs et formatrices.

Comment peut-on nous demander de faire de l’EVARS sans mobiliser les moyens humains et/ou financiers nécessaires ?

Murielle – Section de Clermont-Ferrand


Bien préparer sa séance et poser le cadre, c’est absolument essentiel

Lors de nos interventions en EVARS, nous préparons nos séances selon les classes d’âge des élèves. Nous commençons toujours par nous présenter et expliquer ce que nous allons faire ensemble en deux heures. Nous affichons et expliquons les règles de fonctionnement en groupe : respect, bienveillance, confidentialité, non-jugement, écoute…

Nous organisons ensuite des jeux brise-glace de présentation (prénom/qualité) pour apprendre à se connaître, de cohésion et de confiance (la feuille à l’épaule), d’attention à l’autre (dans l’ordre), ou encore des jeux sur les émotions (les bonjours). Ces jeux permettent de se sentir en sécurité et de bonne humeur. « Le jeu est la forme la plus élevée de la recherche » – Einstein.

Selon les classes, nous utilisons des outils différents :
• Pour les 6e : photo-langage.
• Pour les 5e : brainstorming en groupe sur des mots comme la puberté, l’adolescence, le consentement, puis en groupes non mixtes, les élèves répondent à des questions telles que : « Qu’est-ce que j’aime dans le fait d’être une fille / un garçon et ce que je n’aime pas ? », « Qu’est-ce que j’aime chez les garçons / les filles et ce que je n’aime pas ? »
• Pour les 4e : un blason en groupes sur le thème de la pornographie (leur définition, les risques, les moyens de s’en protéger), suivi d’un jeu avec le violentomètre sur le consentement, et la diffusion d’une vidéo explicative sur le consentement (la métaphore de la tasse de thé).
• Pour les 3e : brainstorming en groupe, puis jeux de rôle avec des scénettes sur des sujets les concernant directement (homophobie, cyberharcèlement, pornographie, consentement…).

Les séances sont systématiquement terminées par une évaluation rapide. Ces interventions sont toujours réalisées en binôme, le plus souvent avec des professionnels de métiers différents (assistante sociale, infirmière…). Cela enrichit la relation avec les élèves. Lorsque l’un anime, l’autre observe les réactions de la classe et peut intervenir si nécessaire sans interrompre l’animation, permettant d’accompagner individuellement un élève en difficulté. Cela arrive régulièrement. Il est essentiel de ne jamais ignorer une détresse, ni de suspendre la séance, au risque de perdre l’attention du groupe et d’aggraver le mal-être du jeune concerné.

Les élèves doivent se sentir en sécurité durant l’animation. L’EVARS ne peut être dispensée sous forme de cours descendant. Si l’on souhaite une participation active de tous, il faut que les élèves sentent que leur parole est entendue, prise en compte, et traitée sérieusement. Les réponses données doivent être informées, fiables, et proches de leurs préoccupations réelles.

Un professeur m’a un jour demandé conseil après une séquence d’éducation à la sexualité. Un élève lui avait fait une révélation personnelle, et il s’est rendu compte qu’il n’était pas du tout formé pour faire face à une telle situation. Il s’inquiétait du regard qu’il devrait porter sur cet élève tout au long de l’année, et de l’impact que cela aurait sur le jeune. Son bouleversement était réel. Je l’ai aidé à rédiger un écrit pour signaler les faits, puis j’ai accompagné le jeune.

Il a alors pris conscience qu’il n’était peut-être pas prêt, même avec une formation, à risquer de vivre ce type de situation dramatique. Je lui ai également précisé que, s’il n’était pas venu me voir, il aurait pu être poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Et qu’il pourrait être appelé à témoigner devant un tribunal si les faits donnaient lieu à une procédure judiciaire. Je crois que je lui ai fait peur.

Véronique – Académie de Normandie


EVARS : Une autre manière de rencontrer les élèves

Depuis 4 ans, j’interviens avec ma collègue infirmière
auprès des 2nde, en demi-groupe, sur les relations
filles/garçons. L’objectif, c’est de parler avec les élèves
des relations avec les parents, des relations amicales,
amoureuses et d’aborder la contraception et le
consentement…On fait ça sous forme de jeu.
On utilise « AdoSexo » qui peut s’adresser tant aux
lycéens qu’aux collégiens de 4ème/3ème. Il se présente
sous forme de cartes où sont notées des affirmations.
Les élèves par groupe de 3-4 en piochent une et
doivent réfléchir ensemble s’ils sont d’accord ou non
avec l’affirmation inscrite. Ensuite, on se réunit et les
élèves présentent leur carte et leur argumentaire aux
autres groupes. C’est à cette occasion qu’on définit
certains termes (puberté,consentement…) et qu’on
crée du débat. C’est une action qui fonctionne très bien.
Les élèves sont ouverts d’esprit, c’est un très bon
moment et c’est une autre manière de les rencontrer.
Je prends beaucoup de plaisir à mener cette action.

Célia – SNUASFP FSU Versailles


Depuis quatre ans, j’interviens avec ma collègue infirmière auprès des classes de seconde, en demi-groupe, sur le thème des relations filles/garçons. L’objectif est de parler avec les élèves des relations avec les parents, des relations amicales, amoureuses, et d’aborder les questions de contraception et de consentement. Nous menons ces séances sous forme de jeu.

Nous utilisons le jeu « AdoSexo », qui s’adresse aussi bien aux lycéens qu’aux collégiens de 4e et 3e. Il se présente sous forme de cartes sur lesquelles figurent des affirmations. Les élèves, répartis en groupes de 3 à 4, en piochent une et doivent réfléchir ensemble pour déterminer s’ils sont d’accord ou non avec ce qui est écrit. Ensuite, nous réunissons la classe et chaque groupe présente sa carte et son argumentaire aux autres. C’est à cette occasion que nous définissons certains termes (puberté, consentement, etc.) et que des débats se créent.

C’est une action qui fonctionne très bien. Les élèves sont ouverts d’esprit, l’ambiance est bonne, et c’est une autre manière de les rencontrer. Je prends beaucoup de plaisir à mener cette action.

Célia – SNUASFP FSU Versailles


Pour conclure : Une EVARS de qualité, à la hauteur des enjeux, exige :

  • Des professionnels suffisamment nombreux, formés et avec le temps nécessaire pour préparer des
    interventions de qualité ;
  • Les séances doivent se faire en binôme pour avoir une complémentarité des approches mais aussi
    pour mettre en place des pédagogies et des outils appropriés. La co animation a toujours été fortement préconisée au vu du fonctionnement interactif de ces interventions et des réactions qu’elle peut susciter auprès des élèves pouvant être déstabilisant pour une intervenante seule et qui, à plusieurs, permet de poursuivre plus aisément l’intervention. Cette coanimation est d’autant plus indispensable lors de réaction/révélation d’ élève victime de violence car cela permet sa prise en charge dans un moment particulièrement déstabilisant tout en continuant avec les autres élèves.
  • Un temps d’explicitation et de dialogue avec les élèves. Nous ne sommes pas là sur des sujets où la
    parole est descendante mais bien qui réclament une approche interactive ;
  • Un temps d’explicitation et de dialogue avec les familles pour faire tomber les craintes et
    déjouer les rumeurs
  • Un temps de présence suffisant pour les assistantes sociales scolaires leur permettant de reprendre
    de manière individuelle les situations qui le nécessitent.